Téléchargeons, sans attendre que les lois soient
réécrites, un fichier à faire suivre librement, un
objet promotionnel sur un film uniquement accessible par correspondance
via cheval2fer.com.
Choisissons le lien DVD puis celui indiquant
bande-annonce et, maintenant, écoutons. Les
éléments sonores offrent la monophonie d'origine et toutes
les subtilités captées et assemblées par Antoine
Bonfanti. Compressées, réduites et néanmoins
animées, les images laissent voir la confrontation entre un film
de 1974 et des bonus de 2004. Ceux qui n'utilisent aucun logiciel
peuvent chercher en salle ou du côté des VHS ou DVD, mais
attention, l'homme qui signe le son est parfois absent du
générique, et aucune filmographie complète n'est
disponible. Près de chez vous, il y a sûrement un Godard,
Pierrot le fou (1965) ; un Duras, India Song (1974) ; un
Gainsbourg, Je t'aime, moi non plus (1977) ; des Oury, Resnais,
Varda, Vecchiali, etc.
Son : derrière ces trois lettres après lesquelles son
nom n'est pas toujours écrit, Antoine Bonfanti a multiplié
des activités de contorsionniste avec perche, de collecteur avec
casque, d'ajusteur avec ciseaux et d'agitateur de potentiomètres.
À une époque où il fallait tout faire, il a
commencé par tenir la perche, donc le microphone, puis le
magnétophone et ses réglages, déployant ensuite de
nombreuses bandes sur la table de montage pour enfin les mélanger
sans prudence.
Avec ce film de 1974, Le Cheval de fer de Pierre-William Glenn, dit
documentaire et réservé apparemment aux motards, une autre
passion s'exprime : « Quand ils étaient de
l'autre côté du circuit, on ne savait plus si
c'était de l'orgue, du vent, de la mer… Il y avait un
“phasing” général de tous les sons, de tous
les moteurs, c'était une merveille ! » Dès
le début, une polyphonie de moteur dont les décalages de
phase profitent à nos sensations simule une ruche, une scierie,
une agitation jouée comme une musique. Et plus tard, lorsque Mike
Doohan oscille sur sa monture afin de rester en course sans y parvenir,
lorsque la dangerosité d'une glissade évoque la mort,
faut-il entendre derrière les percussions un moteur hurlant avant
l'arrêt, un grincement de l'engin gisant ou la friction d'une
faucheuse ?
Antoine Bonfanti est mort à Montpellier le 4 mars 2006, 82 ans
après être sa naissance le 26 octobre 1923, à
Ajaccio. Les dates indiquées, comme la liste des films pour
lesquels il est intervenu, sont rarement exactes. Comme avec le son
direct, il y a toujours du bruit en plus, scories essentielles, et
quelque chose qui se perd, un vacillement qui troublera toujours nos
sens. « Passer de ce bricolage inspiré à
l’absolue maîtrise, ce n’est pas seulement
l’histoire d’un perfectionnement professionnel. C’est
aussi celle d’une réflexion politique, d’une
réflexion morale, et d’une réflexion sur la nature
même du son. », précise Chris Marker. Un
parcours légendaire s'achève, légendaire car
« nous sommes tous légendaires », disait
l'américaine Gertrud Stein, ou plus simplement, parce l'homme
à la loquacité mesurée
|
|
et à l'accentuation
indiscutable n'a pas jugé nécessaire de préciser
son autobiographie.
Bonfanti fut initié sur un tournage de Cocteau, La Belle et la
bête (1945), fasciné lors d'un mixage de René
Clément, La Bataille du rail (1945), militant avec les collectifs
Dziga Vertov, SLON et les groupes Medvedkine (lire Cahiers n°610),
enseignant avec les plus jeunes, ici et ailleurs, agitateur des sons
durant plus de cinquante ans. Il était prompt à fournir
l'objet qu'il fallait, un appareil photo pour La Jetée (1962) de
Chris Marker, une voiture studio pour la Lettre à mon ami Paul
Cèbe (1971) de Michel Desrois, etc. Le son direct selon lui,
c'est un pilote de moto disant « c'est le métier qui
rentre » dans une voiture que l'on croit mobile alors que
seule la caméra bouge, à ne pas comparer avec les bruits
en réduction des bonus.
Les technologies informatiques évoquées en introduction et
utiles à l'écoute des ondes déployées par ce
pionnier du magnéto portable et du micro à bonnette
désignent l'actualité d'un maestro trop hâtivement
associé au Nagra 3 et au Beyer M160. Même si l'insistance
sur la mobilité soudaine provoquée par ces innovations des
années 60 a permis qu'à « chaque fois,
l'oreille avisée et créatrice d'Antoine découvre
l'acoustique qui mènera le son comme la lumière
entraîne l'image. Le in et le off — le perçu et
l'imaginé — s'y rencontrent alors au plus fort de
l'invention cinématographique. », ainsi que
l’écrivait Claude Bailblé. De plus, la connaissance
qu’avait Bonfanti des outils dernier cri ne fait aucun doute. Il
savait désigner les gains, les pertes et les conséquences
de toute évolution technologique. Avec les cassettes DAT, le
numérique offre un temps plus long pour obtenir la bonne prise.
Enfin fiables, les micros sans fil saisissent avec précision,
mais leur localisation souvent idiote est au premier plan et fixe. Le
montage par ordinateur, fin, complexe, donne tout à voir, on en
oublierait d'ouvrir les oreilles. Il disait : “ Notre
métier est d'écouter, écouter pour que les gens
entendent. »
Dans La Charnière (1968), unique film qu’il réalisa
en solo, Bonfanti offre le meilleur sans effet : un condensé
des actions collectives. Tout aussi inadéquate que la
désignation film muet à propos d'une pellicule sourde, la
mention « son seul » et un titre
omniprésent ont été ajouté dans
l'édition DVD à ces images volontairement non
exposées. « Et là, ça paraît un
peu… peu seul… un peu, euh… c'est du cinéma
quoi ! », dit un ouvrier. Le matériau est une
suite de commentaires après la projection d'un autre film sur un
mouvement de grève en 1967 à Besançon. Il faut
ouïr dans le bruit de fond comment s'approche cette femme immobile
dont le timbre s'intensifie. Il faut être attentif au
découpage sans être freiné par le militantisme. Pas
d'effet de chœur ici, pas de brouhaha non plus, la
charnière existe entre deux voix, rarissime chevauchement,
lorsque la perche effectue sans impatience le mouvement attendu de l'une
à l'autre sur les mots : « C'est pas un film
de Kyrie Eleison ! » Ce n'est pas un Requiem.
|